2016 — ATELIER DANSE, VIDÉODANSE ET PHOTOGRAPHIES – SUR MA PEAU

Sur ma peau est le projet d’un flm et de photographies réalisées en milieu carcéral.

Ce projet a été mené avec le soutien de la Région Provence-Alpes-Cote d’Azur, le Ministère de la Justice, la Direction Interrégionale des Services Pénitentiaires PACA-Corse, le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation des Alpes-Maritimes, le Ministère de la Culture et de la Communication / DRAC Provence-Alpes-Cote d’Azur – Pole Publics et territoires dans le cadre du dispositif “Culture et Justice“.

Le Projet

Ce projet s’inscrit dans un parcours élaboré autour d’ateliers chorégraphiques et d’arts plastiques menés en prison avec des détenues de la Maison d’Arrêt de Nice. Le flm et les photographies constituent la mémoire du processus de recherche engagé avec les détenues participantes et permettent de nourrir le dialogue
dedans/dehors. Sur ma peau fait partie de ‘TRACES’, cycle de créations imaginé par le chorégraphe Eric Oberdorf, qui explore sur trois saisons la trace, le souvenir, la mémoire, leurs impacts sur notre identité et notre parcours.

Sur la période 2016-2017, Eric Oberdorf a travaillé à la création du dernier volet de ce cycle intitulée Mon corps palimpseste. En résonance à cette création, le chorégraphe a souhaité accompagner les détenues dans un travail de recherche artistique et d’inventaire sur leurs corps en tant que palimpseste, mettant en scène les mouvements inventés tout au long des ateliers, s’intéressant à leurs cicatrices et leurs tatouages comme éléments singuliers porteurs d’identité et de mémoire des parcours individuels, utilisant la matière qu’elles ont créée avec la plasticienne comme éléments scénographiques et accessoires.

Récit par Valérie Penven

Nous attendons les participantes à l’atelier.

La pièce est assez petite. Un sol carrelé loin du parquet ciré d’une salle de danse, des murs blafards aujourd’hui égayés par les dessins, peintures, textes et témoignages réalisés par les détenues avec la plasticienne Laure Mathieu qui anime les après-midi d’arts plastiques. Éclats de couleur, bribes de vie, histoires de prison et espoirs de lendemain meilleur s’entremêlent sur une table… Le texte d’une détenue qui explique aux nouvelles venues le mode de survie en prison, sort du lot. Accompagnées par les gardiens, sept femmes entrent. Nous essayons de nous rendre invisibles. Ces femmes, vous pourriez les croiser dans la rue sans les remarquer. Nous ne saurons pas ce qu’elles ont fait pour se retrouver ici. Certaines sont en attente de jugement, d’autres finissent leurs peines. La veille, elles ont participé à une première matinée de danse, elles savent déjà ce que Luc Bénard, le danseur qui anime l’atelier, attend d’elles.

Avec David Bowie en bande-son, elles s’échauffent lentement.

Certaines ont le corps hésitant, tout raide, d’autres au contraire semblent immédiatement dans leur élément. Le danseur les guide. Entrant dans la ronde, il les encourage, les exhorte, les soutient. Progressivement l’ensemble du corps est mis en action et c’est par le visage que s’engagent les mouvements. Toutes les parties du corps seront sollicitées.

« Dans l’exiguïté des cellules, le corps est bien souvent noué, autant par le manque d’espace que par le stress de l’incarcération elle-même, l’exercice permet de se reconnecter à son schéma corporel » commente Eric Oberdorff.

À présent le corps est bien chaud, muscles et articulations déliés. Le danseur leur demande de se grandir, de respirer amplement, de s’étirer sur un axe, tendues par un fil invisible qui les relierait au ciel… puis de relâcher totalement la tête en avant. Certaines nuques résistent. Une détenue fait du sur place et opère un léger balancier. Son esprit et son corps semblent ailleurs. Une autre femme se déploie généreusement dans l’espace avec un plaisir évident. Un morceau du Velvet Underground de Lou Reed emplit la pièce de son rythme lancinant, quasi hypnotique. Avec les coudes, elles dessinent une forme, le mouvement prend de l’ampleur, les corps accélèrent, ralentissent, se percutent légèrement. La communication se met en place, des liens se tissent.

À ce long moment d’échauffement succède l’étirement.

Sur un rythme de pavane du concerto brandebourgeois de Jean-Sébastien Bach, on travaille sur un pied et puis sur un autre. Le regard et la tête indiquent le changement de direction du corps. Luc Bénard leur propose de suivre un fil invisible, de s’en entourer, de s’y enrouler.

Ce fil symbolique les emprisonne ou les délivre-t-il ? On se mesure, on se jauge, on joue aussi. Enfin on entre pleinement dans la chorégraphie. Soudain des coups puissants frappés sur une porte de cellule nous parviennent, le quotidien de la prison nous rattrape. Le coordinateur culturel du service pénitencier qui nous accompagne confie que les relations entre les femmes sont aussi violentes que celles des hommes. L’atelier de danse est donc une bouffée d’oxygène, un moment d’évasion dans la routine carcérale des cris, des bruits et des cliquetis de portes qui s’ouvrent ou se referment sur leurs secrets.

Dans une petite cour extérieure, Eric Oberdorff fait des photos.

Les traces sur les corps, cicatrices, rides ou tatouages en gros plan sont le sujet principal de Sur ma peau, qui raconte l’histoire de ces femmes marquées par les épreuves. Ce témoignage iconographique formera l’exposition à venir.

Nous sommes autorisés à parler avec les détenues qui ont pour la plupart moins de 30 ans. « En détention le temps est complètement différent. C’est une des prisons les plus vétustes de France et elle est surpeuplée ! » s’exclament Stéphanie et Annabelle. Cathy est l’auteur du texte qui nous avait interpellé par sa fulgurante justesse :

  • « C’est bien que vous soyez là, votre présence est l’occasion de montrer un autre regard sur la prison. Pour moi cet atelier est l’opportunité de découvrir des parts de nous-mêmes inconnues et de ne pas se résoudre à un quotidien de soumission. J’ai écrit un texte qui dit : soit on se soumet à la prison, soit on en tire parti. C’est une évasion dans le corps et la tête. Cela permet aussi de découvrir les autres, il y a des échanges, des rires. Ces femmes sont toutes mes sœurs. On se découvre des talents.

    La création artistique permet d’oublier nos douleurs. Cet après-midi, on a « art thérapie », une activité que je n’aurais jamais faite autrement à l’extérieur. On reprend confiance en soi. Si on ne fait rien, la prison vous détruit. Ici on a peur de tout, du bruit, des autres aussi ».

Les détenues sont unanimes, sortir de sa cellule permet de ne pas déprimer. « Avec la danse, je me vide la tête et j’évacue mon stress car la cellule, c’est terrible. Mais je sors dans deux mois » témoigne Namda. Svetlana est une prévenue incarcérée depuis trois semaines. Pour la jeune Russe c’est une première expérience de la prison : « on devrait nous apprendre la vie en communauté autant que la discipline » nous confie-t-elle.

>> Le texte complet de Valérie Penven