2009 — ATELIER CINÉMA – PETITES HISTOIRES DE MÈRES

En mars 2009 est sorti le film “L’écume des mères” réalisé par Séverine Mathieu à partir d’un atelier cinéma qu’elle a mis en place durant 4 ans avec des femmes de Marseille sur le thème de la transmission mère-fille.

Parmi la dizaine d’histoires mises en scène, 4 sont entrelacées et composent le long-métrage “L’écume des mères”.

Ces mêmes quatre histoires sont montées séparément et s’ajoutent à 2 autres. Ces six films courts composent l’ensemble intitulé “Petites histoires de mères”.

L’ensemble est co-produit par dis-FORMES, le collectif 13 droits des femmes et les Films du Tambour de soie. Ce film a obtenu l’aide de la région Paca

“PETITES HISTOIRES DE MÈRES”

Pendant 4 ans, j’ai demandé à plusieurs femmes marseillaises de me raconter un souvenir évoquant la relation qu’elles avaient eue avec leur mère. J’ai écouté leur mémoire et leurs fantasmes élaborer le court récit de ce souvenir et la façon dont l’histoire collective était entrée dans l’intimité de cette relation. J’ai cherché à imaginer ces différentes mères, vues par leurs filles.

Forte de l’expérience issue de “Filles de nos Mères” (mon précédent film portant sur la transmission mère-fille dans ma famille, sur 3 générations), mon intention était d’amener d’autres femmes à s’interroger sur le processus de la transmission à partir de leur mère, de façon à cerner comment d’autres schémas sociaux croisent la vie intime d’autres femmes. Il s’agit pour moi de continuer à creuser la façon dont l’histoire collective entre dans l’intimité par le biais de la transmission mère-fille.

J’ai souhaité aller vers la différence, me demandant comment cette problématique se décline dans les histoires des autres : quelle est la part de particularité culturelle, quelle est la part des fondamentaux universels ?
Pendant 3 ans,j’ai donc demandé à ces femmes de remonter dans leur mémoire pour isoler un souvenir, un objet important, un flash se rapportant à la relation qu’elles ont eue avec leur mère.
D’emblée, je me suis placée du point de vue de la fille, c’est-à-dire du côté de celle qui, dans le jeu de la transmission, reçoit.

J’ai demandé à chacune de cerner une image de sa mère, une image qui résume la façon dont elle l’a vue et qui nous permette de sentir quelle femme elle était. Cette image appelle un souvenir précis, plus ou moins lointain. C’est ensemble que nous avons effectué le choix de ces souvenirs, je les ai poussées à retenir ceux qui avaient une forte teneur émotionnelle pour elles, ceux qui portaient les signes du contexte social entourant leur mère et ceux qui stimulaient le plus mon imagination. Puis je les ai encouragées à se remémorer le plus de détails possible, de façon à ‘écrire’ leur souvenir comme une vraie scène dramaturgique.

Les entretiens tournaient autour des questions suivantes :
– Quelles images de sa mère chaque personnage a-t-elle intériorisées et mises en scène dans sa mémoire ?
– Quelle problématique d’ordre collectif la relation qu’elle a avec sa mère touche-t-elle et comment la mettre en scène ?

Je cherchais ce qui, dans ces relations mère-fille, s’élargit à des problématiques d’ordre collectif qui les sous-tendent : la langue, la fratrie, l’exil, l’immigration, l’appartenance à deux cultures, la guerre, la mémoire.
Certaines de mes personnages sont sorties de leur langue maternelle, d’autres ont quitté le pays de leur mère, d’autres enfin ont perdu le souvenir de leur mère.
Je me demandais quelle place prend dans leur imaginaire l’image de leur mère, laissée dans un autre pays. Je me demandais quelle identité de femme se construisent celles qui ont ajouté une deuxième culture, une deuxième langue, à celles transmises par leur mère. Et pour celles qui ne sont pas exilées, je crois le manque de la mère aussi fort.

Le moteur du récit est le sentiment de manque de la mère ; évoquée, mise en scène, elle échappe toujours. Les contradictions de la relation mère-fille donnent à la figure d’une mère mille facettes. Peut-être y a-t-il quelque chose d’irréductiblement absent ou mystérieux chez elle, et sans doute est-ce cela qui stimule autant mon imagination. Par conséquent, dans toutes les mises en scène qui découlent de ces récits, cette absence est travaillée.

Ces récits évoquent des ‘types’ de mère : mère effrayante, invisible, envahissante… Ces relations mère-fille renvoient à des archétypes : relation de fusion, de distance, de glissement d’une grande sœur à la place de la mère. L’amour et la haine s’y côtoient.

Pour accéder à cette image inaugurale, mes personnages sont entrées dans un processus qui met en jeu leur mémoire, leurs fantasmes et leur capacité d’invention ; un parcours pendant lequel elles ont peint leur milieu social, leur contexte familial, les autres personnes qui ont entouré leur mère.
Dans une certaine mesure, on invente sa mère. Leurs récits concilient la part de réel et le travail de recomposition.
Au-delà de leurs récits, je m’intéresse à la façon dont leur mémoire fonctionne, le langage utilisé, leur surprise face à un détail jusque-là enfoui dans l’oubli.

De ces récits, des histoires courtes sont nées, qui mettent en scène chacun des souvenirs.
Plus j’écoutais le récit de mes personnages, plus je me prenais à imaginer les scènes et à désirer les voir (mères et filles ensemble).
Mais quel dispositif adopter pour, à la fois, rendre visibles ces images de mère et voir au travail la mémoire de mes personnages ?

J’ai donc choisi de faire appel à des comédiennes ; leur demandant de se mettre « à la place » des mères.
À chaque personnage, je proposais un jeu : « On dirait que la comédienne serait ta mère ».
Les comédiennes ont pour fonction de révéler/réveiller la mémoire des personnages.
Les personnages dirigent les comédiennes, règlent les situations en fonction de leurs souvenirs. Au fur et à mesure, elles en affinent la qualité.
Pour cerner leur « rôle » de mère, les comédiennes interrogent les personnages qui livrent alors le contexte de leurs souvenirs.
Dans cette phase préparatoire (et qui fait partie du film), c’est le processus d’entrée dans la mémoire qui est en jeu. On y voit l’émotion du face à face mère-fille.
Les comédiennes se mettent alors à « restituer les mères » et, telles des « madeleines de Proust », elles ramènent les personnages dans l’état mental de leur souvenir.

Je voulais que les personnages retrouvent au présent, devant la caméra, leurs émotions ressenties dans le passé, transformées peut-être mais aussi intenses. Qu’elles se laissent emporter par le jeu, que leur mémoire s’ouvre et que des détails insoupçonnés viennent à la surface.
Voir sur le visage des personnages qu’elles ont 8 ans, 12 ans ou 17 ans, comme affranchies du temps, et sentir que la tension de la relation à leur mère devient palpable.
Telles des surfaces sensibles sur lesquelles viennent ricocher les souvenirs des personnages, ces comédiennes permettent d’imaginer les figures maternelles. Chaque mère apparaît progressivement, jamais totalement, car la comédienne ne l’incarne pas pleinement, elle ne peut que l’évoquer.

Un autre matériau est apporté par les entretiens dans lesquels les personnages me racontent leur récit, de manière à ce que le spectateur sache que la réalité s’ancre dans leur parole.

La ligne narrative globale est la remontée progressive dans la mémoire. Plus on va dans le film, plus les personnages cherchent une image archaïque ou difficile à saisir.
La ville de Marseille devient le théâtre de ce lent processus de remémoration : je reviens dans les quartiers où ont eu lieu les scènes contées par mes personnages de façon à regarder comment sont les mères et les filles d’aujourd’hui, et confronter ainsi les couches successives de la ville, ses évolutions sociales et géographiques.

Fiche technique du film “L’ÉCUME DES MÈRES”.

Durée = 90 min

Image : Jérôme Colin et Jean-Jacques Mrejen

Son : Pierre Armand

Montage : Claire Atherton

Écriture et Réalisation : Séverine Mathieu

Avec Colette Crovasce, Saïda Hidri, Virginie et Chantal Carta, Marie Haudiquet, Alima Abdou-Soimad, Samia Siouani, Aïcha Sif, Sylvie Baroni, Laurence Laffitte.

“L’écume des mères” entrelace des histoires de filles,
de filles qui vivent et revivent des moments partagés avec leur mère…
des souvenirs familiaux qui viennent s’inscrire dans la cité.

Leur mémoire est en marche, ainsi que leurs fantasmes et une sorte de “tâtonnement intérieur provoqué par la présence de l’oubli”.

Les mères sont vues par leurs filles.
D’une histoire à l’autre, on entre dans le jeu qui les unit : l’élan, la pulsion faite d’attirance et de répulsion.

Ces femmes s’éclairent, se révèlent mutuellement ; leurs histoires se répondent, la révolte les traverse – contre l’ordre familial ou les règles de la société.

Les récits des cadettes font écho à ceux des aînées. Comme si elles étaient sœurs ; comme si la même histoire exposait ses différentes facettes, dans une mosaïque où s’entrechoquent le passé et le présent.

Virginie raconte comment elle a enfin communiqué avec sa mère lors d’un conflit social auquel elles participaient toutes deux.

Colette raconte comment elle s’efforçait d’être en retard quand elle rentrait chez ses parents après de son travail et « le drame à l’italienne » qui l’attendait alors dans la maison.

Marie raconte qu’elle n’a pas de souvenir de sa mère, cherche à cerner cette ombre qui a accompagné son enfance et trouve enfin une image confuse installée au fond de sa mémoire.

Saïda raconte comment elle a participé au divorce de sa mère qui a eu lieu en France alors que sa mère ne parlait qu’arabe, puis comment elle a elle-même divorcé.