2005 — ATELIER CINEMA – MOTS POUR MAUX – PRISON DES BAUMETTES

Mots pour Maux est l’aboutissement d’un atelier de six mois mis en place par l’Association Lieux Fictifs et encadré par l’intervenant Dominique Comtat, avec huit détenus de la prison des Baumettes à Marseille, en 2004/2005.

Dominique Comtat raconte:

“Le mot enferme généralement un sens, parfois des sens, souvent des sensations.
Le mot, fermé, emprisonne mais aussi libère. Quand j’écris “arbre” : forcément c’est l’essence de l’arbre que je vois, l’arbre “universel”. Mais en même temps je vois le peuplier, le chêne, l’arbousier … Le sens qui restreint, le référent universel qui fait rêver.
Une image représente un arbre (plus précisément cet arbre-ci) et c’est rare de voir au cinéma dans l’image d’un arbre l’arbre universel (chez R.Bresson ou chez Mizogushi peut-être).

Les mots peuvent aussi être détournés, changer de sens, suivant le contexte où on les emploie.
Les mots, enfermés dans un contexte (social, urbain, politique, technique, etc) prennent de nouveaux sens, des fois retrouvent leurs sens premiers.
Détourner le sens du mot est parfois retrouver son sens caché, original, oublié, c’est rêver un peu.

Là où les gens sont enfermés, le mot peut être source d’évasion, de liberté, d’imaginaire, de confrontation, de contradiction. Il va aussi résonner (si on le fait entendre) aux gens “libres” qui jamais n’avaient songé à un autre sens à ce mot.

“De fait, il y a dans le langage peu de mots propres pour beaucoup de mots impropres, mais on sait bien ce que parler veut dire.”
St Augustin “CONFESSIONS”

Donc, de mars 2004 à février 2005, j’ai été invité par l’association “Lieux-fictifs” à donner un stage de réalisation et de création vidéo, à raison de deux journées par semaine, au sein des ateliers de création et de formation audio-visuelle au centre pénitentiaire de Marseille.

Le résultat de ce travail est le film “MOTS POUR MAUX”, court-métrage de 35 minutes.
En amont du travail de réalisation j’ai dispensé un apprentissage technique (découverte et réflexion sur les techniques de l’image, du son et du montage) et théorique (réflexion sur l’image cinématographique, les différentes façon de créer du sens, l’économie de moyens tout cela au vu essentiellement mais pas exclusivement de l’œuvre de Robert Bresson) afin que chaque détenu puisse être indépendant dans sa réalisation.

Nous avons ensuite travaillé sur les notions de limites, de frontières et de passage. En effet alors qu’on nous fait apparaître des frontières nettes entre différents pays, entre l’âge enfant et l’âge adulte (la “majorité”), entre le licite et l’illicite entre le sain et le malade nous avons tous expérimenté une fois ou l’autre la perméabilité de ces frontières : en traversant un paysage à pied, se retrouver dans un pays étranger sans même s’en apercevoir, etc.

De ces réflexions est issu un travail sur le double sens des mots. En effet pour une personne comme moi qui ne connaissais pas le milieu de la prison, j’ai été étonné d’apprendre des sens nouveaux à certains mots que j’utilisais différemment à l’extérieur de ce milieu. Ainsi la cantine n’est pas le lieu où l’on prend ses repas, le réfectoire, ni la lourde valise de voyage mais l’action de commander des produits de première nécessité disponibles au sein de la prison. Ainsi le yo-yo, la Brinks, l’écrou, etc.

Ces mots me semblèrent alors source de rêve, d’imagination, de liberté, d’évasion, de passage d’un “dedans” à un “dehors”.

Nous avons travaillé collectivement ce sujet, puis chaque stagiaire s’est emparé d’un mot et a commencé avec des images et des sons à explorer ce double sens. Ainsi le film “MOTS POUR MAUX” est-il constitué de huit petits courts métrages : “Écrou”, “greffe”, “Horizon”, “Promenade”, “Cantine”, “Le temps”, “Yo-yo”, “Cellule”.

Les résultats ont été rediscutés collectivement, critiqués, d’autres idées surgissant de ces discussions. D’autres images ont alors été tournées, montées, etc. Chacun est acteur ou technicien sur les films des autres. Finalement le montage de chaque court-métrage a été monté par le réalisateur et moi-même et le montage du film global a été discuté collectivement.”