Sabine Putorti, Institut de l’Image : « Il faut créer un cadre, mais aussi s’adapter »

En 2024-2025, l’Institut de l’image a animé son propre groupe d’ambassadeurs, et coordonné celui de l’Utopia, à Avignon.

Sabine Putorti revient sur cette première expérience : les soirées organisées, ce qui a marché et ce qui n’a pas marché… Et les améliorations prévues pour 2025-2026.

Au départ, pourquoi l’Institut de l’Image a souhaité accueillir le dispositif ?

À l’Institut de l’Image, nous avons à cœur de transmettre notre programmation aux jeunes, leur faire connaître l’histoire du cinéma. Comme Aix-en-Provence est une ville très étudiante, nous avons déjà des contacts étroits avec l’université et nous lançons régulièrement des initiatives en direction des jeunes – nous avions par exemple déjà acceuilli un festival entièrement organisé par un groupe de jeunes.

Ainsi, quand le CNC a lancé cet appel à participation au dispositif Ambassadeurs jeunes du cinéma, il était évident que nous allions déposer un dossier.

Quelle est la fréquentation des jeunes dans votre salle ?

Les jeunes ne sont pas majoritaires – notre public est souvent un peu plus âgé, très cinéphile – mais ils viennent. Je pense que notre particularité est d’être un lieu avec une programmation atypique (nous montrons des films de patrimoine), ce qui leur permet de voir des films anciens et cultes, en salle.

Les jeunes sont souvent attirés par des films ou des genres très précis : par exemple, le cinéma asiatique. Mais nous sommes aussi parfois étonnés de leur présence sur certains cycles, comme récemment le cycle Pagnol.

Comment avez-vous recruté les jeunes ambassadeurs ?

Pour constituer le groupe, nous avons mis une annonce à l’école d’art (où sont actuellement les locaux de l’Institut de l’Image), et lancé des appels à candidatures via le réseau que nous avons déjà –  notamment le réseau de profs et d’étudiants en cinéma de l’université d’Aix-Marseille. Nous avons aussi passé une annonce via le Pass culture.

C’est comme ça qu’une première réunion a rassemblé douzaine de jeunes. Nous leur avons présenté le dispositif, nous avons créé un groupe WhatsApp… Et c’était parti !

Quel était leur profil et qu’est-ce qui les motivait ?

Il y avait des étudiants en cinéma, plutôt très cinéphiles, motivés pour parler de films et réfléchir à une programmation. Les étudiants de l’école d’art étaient plutôt des créatifs, heureux de voir des films mais aussi de proposer des performances, de la déco autour des séances. Ceux de Sciences-Po étaient aussi cinéphiles, avec beaucoup de curiosité et d’ouverture. Cette diversité de profils a été à la fois une richesse et une difficulté : il a parfois été difficile de faire un programme commun entre ceux qui sont fans de Chantal Ackerman et ceux qui aiment des films très grand public. Mais ils ont réussi et j’ai trouvé ça très positif qu’ils échangent, qu’ils sympatisent, dialoguent, s’écoutent.

Au départ, ils étaient une douzaine. Petit à petit, le groupe s’est réduit à six personnes, mais ce petit groupe a très bien fonctionné.

Quels événements avez-vous organisé en 2024-2025 ?

Nous avons organisé 6 événements.

  • Le 31 octobre 2024, en lien avec l’AFCAE, nous avons proposé de projeter The Rocky Horror Picture Show de Jim Sharman. Ils se sont tout de suite emparés de l’idée et ont beaucoup relayé l’événement autour d’eux, organisé un concours de déguisements, avec un applaudimètre pour désigner le vainqueur. C’était une très bonne ambiance et un succès, avec 93 entrées dont une très grande majorité de jeunes.
  • Ensuite, le 14 novembre 2024, un petit groupe de jeunes très cinéphiles ont souhaité s’associer au cycle Chantal Ackerman et sont venus présenter un film. Ils ont fait ça très bien, mais ont peu mobilisé autour d’eux : le public n’était pas au rendez-vous.
  • Vendredi 13 décembre 2024 a été la première soirée integralement organisée par eux, de la programamtion à la communication. Ils sont partis sur l’idée d’une soirée horrifique du vendredi 13, avec le film The Thing. Et autour, ils ont fait plein de choses : il y a eu une performance (ils ont vraiment créé un petit spectacle, avec des masques, c’était super !), un concours d’affiche, un quizz, ils ont fait du vin chaud, ils se sont déguisés… Il y a eu 51 entrées.
  • Ensuite, le 21 mars 2025, ils ont organisé une nuit de cinéma autour du thème de l’étrange, avec plusieurs films : Blue velvet de David Lynch, Réalité de Quentin Dupieux, House de Nobuhiko Obayashi, Le tombeur de ces dames de Jerry Lewis, La montagne sacrée de Alejandro Jodorowsky. Elle a très bien marché !
  • Le 28 mars 2025, des étudiants de Sciences Po ont choisi de travailler sur la question des Identités plurielles, et de monter une une séance intergénérationnelle autour du film L’évènement le plus important depuis que l’homme a marché sur la lune de Jacques Demy. Ils ont fait la séance l’après-midi et ont pris contact avec des lieux de résidence pour personnes âgées pour qu’elles viennent à la séance. Ils ont aussi travaillé en amont avec elles. Il y avait 38 personnes, mais vu l’horaire, c’est plutot une belle réussite et un très beau travail.
  • La dernière soirée, le 13 juin 2025, était consacrée à Gregg Araki, avec 3 films projetés. Celle-ci a réuni seulement 44 spectateurs, et surtout, les jeunes ne sont pas venus animer la séance…

Pour faire la programmation, avez-vous organisé des séances de prévisionnement ?

Presque pas : ils ont souvent programmé des films qu’ils avaient déjà vus, ou des films choisis sur bande-annonce – notamment dans le cas des avant-premières. Parfois, ils ont choisi sur nos conseils, par exemple dans le cas de La Montagne sacrée de Jodorowsky qu’ils n’avaient pas vu mais qui les intriguait. Dans de rares cas, je leur ai envoyé un lien de prévisionnement, ou je leur ai prété un DVD. Mais nous n’avons pas fait de prévisionnement en salle, principalement pour des questions de planning.

Avaient-ils des réductions pour venir au cinéma, ou des places gratuites ?

Évidemment, les soirées qu’ils ont organisées étaient gratuites pour eux – elles étaient financées par la subvention du CNC. Également, comme nous sommes actuellement hébergés par l’école d’art, les étudiants en art ne payent pas. En début d’année, nous avions évoqué la possibilité d’instaurer une gratuité pour les Ambassadeurs, mais ils ont été solidaires : ils avaient un tarif à 2 euros et, connaissant l’économie de la salle, ils nous ont dit trouver ça normal de les payer.

Comment se déroulaient la programmation et l’organisation de ces soirées ? Qui avait quel rôle ?

Souvent, ils échangeaient, faisaient des propositions et moi, j’avais un rôle d’arbitre : je leur donnais ma vision, je les orientais, sans les brimer. Je leur exposais aussi les contraintes : par exemple, quand ils nous livraient des liste de films, nous leur disions ce que l’on pouvait projeter ou pas, et pourquoi ce n’était pas possible de se procurer une copie par exemple.

Une fois qu’ils avaient établi la programmation et des idées d’animation, l’équipe du cinéma s’occupait de la technique (location des films, etc.). De mon côté, je les aidais à répartir les tâches : qui fait le quiz, qui fait les courses, etc.

Je pense que notre appui est indispensable : ils restent jeunes, il faut les accompagner. Chacun a sa personnalité, son niveau d’autonomie : certains sont très organisés et ont un grand sens pratique, d’autres sont un peu plus dans le côté artistique et la programmation. Ils ont aussi d’autres choses à faire : l’école, les stages… Il faut accepter qu’ils ne soient pas toujours disponibles et qu’ils sont en train d’apprendre, et que le dispositif est justement un moyen de les responsabiliser et les faire gagner en autonomie. Pour moi, il faut donc s’adapter, et trouver un équilibre entre leur laisser la main, et les orienter.

La plupart des coordinateur-ice-s relèvent justement cette difficulté à trouver un équilibre entre contrainte et liberté, en particulier pour ce public. Qu’en penses-tu ?

C’est très délicat ! Il faut qu’ils aient assez de liberté pour que ça reste du plaisir, qu’ils donnent des idées et de l’énergie, qu’ils découvrent les coulisses du cinéma et s’amusent à se sentir organisateurs d’une soirée… Mais sans qu’ils se sentent perdus. Au contraire, il ne faut pas qu’ils soient trop contraints, au risque de les braquer et d’être dans une relation adulte-jeune très désagréable.

Nous avons réussi à les garder mobilisés et motivés toute l’année, sauf la dernière séance en juin – sans doute à cause de leurs examens, stages de fin d’année.

Pour trouver l’équilibre, je pense donc qu’il faut créer un cadre mais aussi s’adapter : par exemple, arrêter de proposer des séances fin juin car ils ne sont pas disponibles. Et en matière de programmation, leur laisser de la liberté, se laisser surprendre par ce qu’ils peuvent proposer, ne pas leur imposer notre désir ni induire ce qu’ils aiment, tout en leur expliquant les contraintes et en les dirigeant dans l’exécution.

En matière de communication, quel rôle avaient-ils ?

Au départ, nous pensions qu’ils allaient beaucoup s’investir dans la communication, qu’ils allaient être créatifs sur les réseaux sociaux, qu’ils allaient nous proposer des vidéos, des visuels… Et en fait, ce n’est pas leur profil, ni leur profession. Ils ont fait quelques affiches, ils ont fait circuler l’info autour d’eux, à leurs amis, mais n’avaient pas de réflexe de communication professionnelle. Ça a été une difficulté, même si le bouche-à-oreilles a parfois bien fonctionné.

Pour vous, l’équipe du cinéma, a-t-il été difficile de leur accorder du temps ?

Un peu, car nous sommes assez contraints. Nous sommes une petite équipe, et le cinéma doit fonctionner… Or, l’attention à ce public jeune est un axe que j’aimerais développer. Pour le moment, nous nous débrouillons pour le faire, mais l’idéal pour aller plus loin serait d’avoir un poste supplémentaire !

Avez-vous eu d’autres difficultés ?

Une des plus grandes difficulté était de trouver des moments pour se réunir, entre leurs horaires, ceux de notre équipe… Au départ, nous souhaitions faire une réunion par mois, mais nous les avons finalement espacées. Nous avons néanmoins réussi à organiser 6 événements.

En tant que salle, que vous a apporté ce lien avec les jeunes ?

C’est désormais un public que je comprends un mieux. Par exemple, je me suis rendue compte à quel point le cinéma n’était plus une pratique habituelle, régulière chez eux. Pour autant, s’ils sont intéressés par la séance, ils viennent, ils découvrent un lieu, ils sont ouverts aux expériences. Je me suis rendue compte à quel point leurs goûts, leur culture cinématographique, leur rapport à la salle, leur emploi du temps différait de notre public habituel, plutôt âgé et très cinéphile. Ça pousse à être modeste et ouvert sur la manière dont on peut les faire venir.

Je pense que ces soirées sont l’occasion de leur montrer qu’on peut vivre des expériences sympathiques au cinéma. Et de notre côté, ça fait du bien ! Ils ont une fraîcheur, ils se permettent des choses que l’on se permettrait pas… Et c’est beau, une salle remplie de jeunes !

Prévois-tu des changements dans la mise en œuvre du dispositif pour 2025-2026 ?

J’ai plusieurs idées : peut-être faire moins d’événements mais plus gros, peut être ouvrir aussi aux lycéens… Même si ça pose d’autres questions pour réussir à accorder les rythmes et les envies des lycéens et étudiants.

En terme de nombre, nous n’avons pas de jauge mais je ne souhaite pas forcément un plus gros groupe. Je pense qu’un petit groupe fonctionne bien.

Le plus grand défi – pour éviter l’échec de la dernière soirée – est de trouver un moyen de les garder investis jusqu’au bout, tout en les laissant libres. Je pense qu’il faut repenser le calendrier, pour mieux s’adapter à leurs contraintes (examens, stages…) mais aussi trouver une manière de les engager dans le dispositif.



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6 évènements organisés à l’Institut de l’Image :

  • 31 octobre 2024 : Soirée halloween, autour de Rocky Horror Picture show, avec un concours de déguisements
  • 14 novembre 2024 : autour du cycle Chantal Akerman, présentation des films et discussion animée par les jeunes
  • 13 décembre 2024 : Soirée « Horreur polaire » avec la programmation de The Thing de John Carpenter. Soirée accompagnée par une performance, un quizz, du vin chaud, déguisements, concours d’affiches.
  • 21 mars 2025 : L’étrange nuit du 21 mars, une nuit entière de cinéma avec un programme de 5 films : Blue velvet de David Lynch, Réalité de Quentin Dupieux, House de Nobuhiko Obayashi, Le tombeur de ces dames de Jerry Lewis, La montagne sacrée de Alejandro Jodorowsky
  • 28 mars 2025 : Séance inter-générationnelle, autour de L’évènement le plus important depuis que l’homme a marché sur la lune de Jacques Demy
  • 13 juin 2025 : soirée Gregg Araki avec Teenage apocalypse (Nowhere, The doom generation, Totally fucked up)