Marion Vanmansart, cinéma l’Alhambra : « Encourager la cinéphilie et l’esprit collectif, sans être scolaire ni élitiste »

(c) Matthieu Parent
(c) Matthieu Parent

Au cinéma l’Alhambra, une vingtaine de jeunes ambassadeurs ont été recrutés dès novembre 2024. Autobaptisé Les derniers de la salle, le groupe a organisé ou co-organisé quatre soirées cinéma dans trois cinémas de Marseille : L’Alhambra mais aussi Le Gyptis (3e) et La Baleine (6e).

Marion Vanmansart, coordinatrice du Pôle régional d’éducation aux images pour l’Alhambra, anime le dispositif pour le cinéma L’Alhambra. Elle revient sur la première année d’expérience.


Pourquoi avez-vous souhaité accueillir cette expérimentation à l’Alhambra ?

C’est d’abord une décision collective : c’est le Pôle et ses trois antennes (cinéma l’Alhambra mais aussi l’Institut de l’Image à Aix-en-Provence et Cannes Cinéma) qui ont décidé de se porter candidates à l’appel du CNC.

Côté Alhambra, nous avons plusieurs actions pour le public jeune : organisation des formations des services civiques, acceuil de stagiaires de 3e chaque année, organisation de cartes blanches pour les étudiants d’écoles de cinéma… Le dispositif Ambassadeurs jeunes du cinéma allait dans la continuité de cette volonté d’encourager la cinéphilie et l’esprit collectif chez les jeunes, sans être trop scolaire ni élitiste. Nous avons aussi un lieu qui se prête particulièrement à ce genre d’expérience, avec plusieurs espaces de travail, une petite salle de projetction pour faire des prévisionnements, etc.

J’ajouterais qu’il y avait une motivation personnelle, car c’est un public que j’aime beaucoup !

Les jeunes fréquentent-ils déjà l’Alhambra ?

L’Alhambra accueille énormément de jeunes, enfant et adolescents, mais plutôt dans des cadres scolaires – notamment avec les dispositifs Ma classe au cinéma du CNC. Ils ne viennent pas, ou peu, en autonomie. Attirer les jeunes en salle est donc bien un enjeu pour nous.

Comment avez-vous recruté ces jeunes ?

Avec les trois structures qui composent le Pôle, nous avons lancé un appel à candidatures commun : nous l’avons diffusé via le Pass culture et le site du Pôle, et via nos propres réseaux. De mon côté, sur notre secteur, j’ai contacté les équipes pédagogiques des écoles de cinéma, j’ai communiqué auprès du groupe cinéma d’Unis-cité. Et tout ça a été très efficace, puisque pour le premier rendez-vous, en novembre 2024, nous étions une trentaine de personnes, en majorité issues des écoles de cinéma locales. Je leur ai présenté le projet de manière très simple : j’ai expliqué que nous avions un budget du CNC pour qu’ils organisent des séances.

Le recrutement de départ est donc plutôt facile ; la difficulté est peut-être plus de gérer la fluctuation du groupe au cours de l’année. Ces jeunes font des études, ont des stages, des examens, certains travaillent aussi. Ainsi, il arrive qu’ils abandonnent en cours de route. Et ceux qui restent ne peuvent pas être disponibles à toutes les réunions ou toutes les soirées – et c’est normal. Aujourd’hui, sur les trente de départ, nous avons toujours une vingtaine de personnes vaiment actives lors de la programmation, et une dizaine à chaque événement. Je pense qu’il faut l’accepter.

Quel est le profil des jeunes ambassadeurs de l’Alhambra ?

Ils sont en majorité issus d’écoles de cinéma (master de Cinéma documentaire, Ateliers de l’image et du son, quelques-uns de la Satis). Il y a aussi des jeunes d’Unis-Cité, et une personne venue via le Pass Culture qui ne fait pas d’études de cinéma. Globalement, ce sont donc des jeunes en lien avec le cinéma, mais pas exclusivement.

Que cherchent-ils, d’après toi ?

Ils ont en commun d’aimer le cinéma et les films, mais je pense que tous ne viennent pas pour la même chose. Certains veulent voir des films, d’autres se faire un réseau, d’autres rencontrer d’autres étudiants, d’autres sont attirées par l’idée d’aller à Cannes en fin d’année.

Quelles soirées le groupe a-t-il organisé en 2024-2025 ?

Notre groupe a décidé de s’appeler « Les derniers de la salle ». Entre novembre et juin, ils ont programmé 4 soirées.

Pour la première séance, en décembre, nous leur avions proposé de programmer une avant-prmeière. Comme nous ne pouvions pas envoyer le lien à 30 personnes, ils ont vu plusieurs bande-annonces et ont choisi La Pampa. Ils ont organisé et présenté la séance qui s’est faite en présence d’Antoine Chevrollier, le réalisateur, et de Faïza Guène, co-scénariste.

Pour la deuxième séance, en mars, nous nous sommes alliés au ciné-club du cinéma La Baleine. Nous nous sommes adaptés à leur thème annuel, le Choc des générations, et les ambassadeurs et les membres du ciné-club ont souhaité programmer le film Sous le soleil de Charlotte Wells, qu’ils avaient pour la plupart déjà vu.

Pour la troisième et la quatrième séance, nous nous sommes alliés au club de programmation du cinéma Le Gyptis : le 21 mai, ils ont ainsi programmé Spider Man, accross the spider verse, et le 27 juin, Put your soul on your hand and walk, une avant-première en présence de la cinéaste Sepideh Farsi.

Comment se répartissent les rôles des ambassadeurs et des équipes du cinéma dans l’organisation de ces soirées ?

Le groupe programme le film et la soirée : les invités, les animations, la nourriture s’il y en a, la présentation du film, etc. Ils se répartissent les rôles pour assurer aussi la communication : faire les affiches, les distribuer, assurer la communication sur leurs réseaux sociaux… Nous leur laissons les rênes, ils ont vraiment les clés de la salle. Nous nous chargeons de la partie logistique : faire venir les films, etc.

En amont, notre rôle est d’animer le groupe : leur faire des propositions (de films, d’invités), mais aussi les réunir, suivre l’organisation, etc. Je leur propose aussi régulièrement des rencontres avec des professionnels du cinéma : par exemple, cette année, William Benedetto (directeur de l’Alhambra) leur a montré comment programmer une petite séance de courts métrages. Ils ont aussi rencontré Laïs Decaster, réalisatrice. Tout ça se fait au cas par cas, selon les idées de chacun : par exemple, récemment, une personne du groupe m’a dit qu’elle aimerait rencontrer une maquilleuse. J’essaie d’organiser cette rencontre.

Dans tout ça, j’ai un rôle de guide, mais je cherche aussi à les responsabiliser. Par exemple, lors de la première séance, ils avaient beaucoup trop d’idées : il voulaient faire un podcast, des expos… Je savais que dans les faits, concrétiser tout ça allait être difficile ! Je les accompagne donc dans la mise en œuvre ou l’abandon de certaines idées ; je les laisse se tromper, ça fait partie de l’apprentissage !

Comment faites vous pour prévisionner les films ?

La question du prévisionnement est effectivement une difficulté. Comme ils sont nombreux, dans le cas des avant-premières notamment, nous ne pouvons pas partager le lien à 30 personnes. Ainsi, ils programment le film en choisissant sur bande-annonce, ce qui est, pour certains, frustrant. Pour les autres séances, c’est plus simple, car souvent, ils proposent de programmer des films qu’ils ont déjà vus.

Pour la suite du dispositif, nous refléchissons donc à cette question : nous imaginons par exemple créer des petits groupes de 3 ou 4 personnes qui regarderaient chacun un film et le raconteraient aux autres. Nous pensons également à organiser des séances de prévisionnement au cinéma. Globalement, nous prenons les questions au moment où elles se posent et nous testons, nous voyons ce qui marche, nous évoluons !

Où vous réunissez-vous ? La question des transport est-elle un problème ?

Les jeunes habitent dans différents endroits : la plupart à Marseille (centre-ville mais pas seulement), quelques-uns à Aubagne. Mais nous sommes itinérants : nous nous retrouvons parfois à l’Alhambra, parfois dans un autre cinéma (par exemple quand nous sommes en partenariat avec les ciné-club de La Baleine ou du Gyptis), et nous avons aussi signé une convention avec la Ciné-fabrique, située à la Belle de Mai, pour y faire nos réunions.

Les transports ne sont donc pas spécialement une difficulté : ils ont l’habitude de bouger, et nous bougeons aussi.

Le fait que les jeunes ne soient pas « captifs », est-ce que c’est une difficulté ?

Ça fait partie du dispositif : d’ailleurs, je leur ai dit tout de suite qu’ils n’étaient pas obligés de venir à chaque fois. En effet, tous ont des plannings, une vie professionnelle, scolaire, personnelle : il est impossible de réunir tout le monde à chaque réunion. Alors je ne veux pas contraindre, plutôt les responsabiliser : leur faire comprendre que c’est leur collectif à eux et que s’ils peuvent venir, tant mieux, et sinon ce n’est pas grave. Pour que tous puissent suivre même sans être là, nous avons un groupe WhatsApp, sur lequel je fais un compte-rendu à chaque réunion.

De quels financements disposez-vous ?

L’enveloppe globale du CNC est de 12 000 euros par an pour les ambassadeurs d’Arles et de Marseille, sur trois ans. Pour le moment, cet argent sert essentiellement à couvrir les dépenses des événements : location de machine hot-dog, boissons, frais de déplacement pour les invités… Mais je pourrai faire un bilan plus précis en toute fin d’année.

Les ambassadeurs ont-ils des tarifs préférentiels ou des places offertes à L’Alhambra ?

Oui et non : il n’y a rien d’établi, mais quand il nous demandent s’ils peuvent venir voir un film, nous acceptons. Ça n’arrive pas beaucoup, alors pour le moment, nous fonctionnons au cas par cas. Par contre, pour les séances qu’ils organisent, c’est la subvention du CNC qui paie leur ticket.

Quels partenariats avez-vous noués ?

Nous nous sommes alliés à la Ciné-fabrique, qui nous met un lieu à disposition. Pour la programmation, nous nous sommes rapprochés des Ciné-club de la Baleine, et du Gyptis. Nous programmons avec eux des séances « invité ».

Le partenariat avec le Gyptis est assez inédit : en effet, le ciné-club s’adresse aux adolescents (12-17 ans). Nous avons fait des petits groupes mélangeant ambassadeurs et adolescents, et franchement, ça fonctionne : les cinpéhilies se mélangent et ça donne des échanges vraiment intéressants !

Pour le moment, quelle est la fréquentation de ces séances ? Le concept « les jeunes ramènent le jeunes » fonctionne-t-il ?

Le 16 décembre – en plein, hiver, un lundi soir, à l’Alhambra – nous avions environ 90 personnes : c’est plutôt bien ! La séance à la Baleine, même constat : la séance était pleine. Donc je dirais que oui, ça fonctionne ! Et il y a même de beaux mélanges : la dernière fois, l’un d’eux avait aussi amené sa grand-mère !

Tu disais en préambule que l’un des objectifs était de créer des espaces de rencontre entre les jeunes. Est-ce que tu as l’impression que ça fonctionne ?

Oui ! C’est très convivial, nous restons après les séances, nous discutons… Et dans les séances qu’ils organisent, cette convivialité est l’un des axes qu’ils soignent : ils imaginent toujours quelque chose à boire ou à manger pour créer un moment de rencontre. Je sais qu’ils se voient aussi un peu en dehors, ça a créé un petit groupe.

Après cette première année, comment vois-tu l’évolution du dispositif ?

Ces premiers mois étaient une expérimentations : nous sommes en train d’évaluer ce qui fonctionne, pour voir ce qu’il faut garder ou faire évoluer.

L’un de mes objectifs est de trouver un équilibre entre demande d’investissement personnel et liberté. Pour ça, l’un de mes outils est un groupe Whatsapp, sur lequel je partage des infos – mais pas trop pour éviter qu’ils ne se sentent envahis. C’est un outil important pour animer ce collectif tout en restant dans la souplesse : nous leur donnons rendez-vous, ceux qui viennent mettent un pouce… C’est souple et instantané.

Pour 2025-206, un petit noyau du groupe de l’année dernière souhaite continuer l’aventure. Nous allons donc partir de ce groupe et proposer à de nouveaux jeunes de participer. Nous nous sommes aussi rapprochés de Cannes cinéma, qui met en place des formations en visio : nous avons proposé à nos ambassadeurs d’y participer.


Le dispositif à l’Alhambra en 2024-2025, pour résumer

Séance La Pampa ©Alhambra
Séance La Pampa ©Alhambra

4 soirées organisées dans 3 cinéma en 2024-2025 :

  • 16 décembre 2024 à l’Alhambra : Avant-première La Pampa au cinéma l’Alhambra, en présence de Antoine Chevrollier et Faïza Guène, accompagnée d’une exposition en lien avec le film
  • 5 mars 2025 au cinéma La Baleine : Sous le soleil de Charlotte Wells
  • 21 mai 2025 au cinéma Le Gyptis : Spider-man : Across the Spider-Verse de Joaquim Dos Santos, Kemp Powers, Justin Thompson
  • 27 juin 2025 au Gyptis : Avant-première de Put your soul on your hand and walk de Sepideh Farsi, en présence de la cinéaste