LE STUDIO, UN DISPOSITIF OUVERT DANS UN ESPACE FERME (PRISON DES BAUMETTES A MARSEILLE)- A FAIRE BASCULER DANS FORMATIONS ?

Lieux Fictifs mène des ateliers à la Prison des Baumettes à Marseille depuis presque une vingtaine d’années. La réflexion sur le lieu “Le Studio” a été un élément clef dans la conception globale du projet de l’association.

– PLAN DU STUDIO AUDIOVISUEL DES BAUMETTES CONSTRUIT EN 1998

” Pour pouvoir imaginer cet « espace ouvert » dans la durée, la qualité du lieu de travail est primordiale. Ce lieu du « studio » est un espace reconnu dans sa fonction par l’institution. Au-delà des règles propres à la prison que les détenus et les intervenants doivent respecter puisque le projet se bouge à l’intérieur de celle-ci, ce lieu propose aussi ses propres règles. Il est important que les détenus prennent conscience que les règles existent au-delà de l’institution pénitentiaire et qu’elles dépendent aussi des exigences collectives qui sont posées dans le projet commun à développer.

Nous avons aux Baumettes cette qualité de l’espace de travail. Le studio de 350m2 a été conçu en fonction de son utilisation : images à tourner, à monter, à projeter, espace collectif de rencontre et de travail. Ce lieu, bien que sous l’autorité et la surveillance de l’institution, a une autonomie dans son fonctionnement propre. Il est reconnu politiquement par l’institution.

L’absence de personnel de surveillance à l’intérieur des locaux est un élément essentiel. Dans le studio, on est toujours en prison, mais pendant un temps, on est dans un espace qui existe pour ce qu’il propose en dehors de la fonction de surveillance de l’institution. Cet « entre-deux » est un espace vital de reconstruction, un espace tampon, un espace de liberté dans un lieu de contrainte maximum.

Il faut que chaque participant (détenus et intervenants extérieurs) ait conscience de la fragilité de l’existence d’un tel espace en prison. Il est important que tous deviennent responsables de ce lieu. L’autonomie que chacun doit avoir dans le projet le rend un peu plus responsable. Cette autonomie lui donne davantage de droits mais aussi davantage d’obligations et de devoirs.

Cet espace du studio à la prison de Marseille est aussi un espace symbolique.
Cette dimension n’est certainement pas duplicable. Pour autant, cette situation mérite d’être analysée car elle donne du sens au projet.

Ce sens concerne plus largement la question de « l’image en prison » au-delà de ce lieu spécifique.

La prison, c’est du temps mais c’est aussi un espace architectural conçu pour contrôler, gérer et contraindre les corps (Cf/ Surveiller et punir, Michel Foucault). Le studio a été construit dans les anciennes cours de promenade du quartier de haute sécurité

Ces cours de promenade étaient disposées sous la forme d’un panoptique, c’est-à-dire construites à partir d’un point central qui ouvre sur un champ de vision permettant une visibilité totale. Chaque détenu isolé dans la cour est alors vu et contrôlé par un surveillant placé sur un point central. Cette architecture est liée à la question du regard. Le studio audiovisuel construit sur le même espace, inverse la place du regard proposée par l’institution disciplinaire.

Panoptique de Bentham:

Essai de superposition vers la conception du “Studio”:

Dans le studio, c’est le groupe de détenus qui a le pouvoir de regarder à partir de ce point central, qui contrôle sa propre transgression (ouverture et fermeture des portes donnant dans les espaces de travail, point rouge lumineux interdisant l’accès dans la salle du studio au moment du tournage). Cette symbolique très forte dans ce lieu agit aussi sur le comportement des stagiaires.

Le « pouvoir » dissocie les fonctions, celui de la prison s’établit sur la dissociation de la fonction de voir de celle d’être regardé.
Faire de l’image en prison c’est bien évidemment s’interroger et déplacer ce rapport de pouvoir. En ce sens du déplacement, nous produisons dans ce lieu, un acte de « transgression ». Celui-ci est nécessaire car il permet de continuer un mouvement, un développement, dans un lieu qui fige les choses, les êtres et leurs possibilités d’évolution.

L’institution pénitentiaire est, par sa fonction même, dans l’impossibilité de produire la moindre transgression.

L’art par contre n’existe que par sa capacité de transgression. La cohabitation de deux objectifs, celui de la prison et celui de l’expérience artistique, peut paraître improbable. C’est donc l’acceptation de ces différents objectifs et la qualité de transgression qui est produite par les cinéastes et par l’opérateur culturel qui va permettre à un travail de création de se développer avec des détenus en prison.

Le principe posé par Lieux Fictifs d’accueillir différents professionnels de l’image dans le dispositif du studio évite d’enfermer les expériences cinématographiques dans un dogme, une méthode d’écriture.
Autant de personnalités, autant de rencontres différentes. Autant de questions de cinéma, de démarches, de dispositifs, de mises en scène, de répartitions des places ouvrant ainsi les frontières entre les genres : théâtre, cinéma, télévision, vidéo, art plastique…

Les choses doivent se développer dans leur rythme, tout en les stimulant, dans une grande qualité d’écoute et d’observation, en ouvrant sans cesse des horizons… Avancer en terrain peu sûr, sans préalable, ne pas s’imposer mais provoquer des situations de cinéma et observer des réactions.
Saisir sans cesse l’accident, la chose imprévue, dans l’instant. Ne jamais la subir mais être suffisamment ouvert pour risquer sans cesse les choses.”

Au final, le “Studio”, se compose d’une grande salle de rédaction, une salle de vissionnage de film, une salle de régie télé, une salle de montage virtuel, et un plateau de tournage.